Je n’utilise (presque) plus le mot « fonctionnel »

Ça fait plus d’un an maintenant que j’essaie de limiter mon utilisation du mot « fonctionnel ». La raison est simple : je ne sais plus ce que ce mot signifie. C’est un mot couramment utilisé en orthophonie. On parle d’objectifs fonctionnels, d’activités fonctionnelles, de communication fonctionnelle, d’évaluation fonctionnelle, d’impacts fonctionnels, d’approche fonctionnelle, d’intervention fonctionnelle… Il me semble que tout et son contraire peuvent être appelés « fonctionnels ».

Récemment, j’ai fait une liste des différentes significations que je crois que le mot « fonctionnel » peut avoir. Ainsi, selon ma compréhension, « fonctionnel » peut vouloir dire:
– Objectif fonctionnel : Pertinent ? Prioritaire ? Qui aidera la personne à communiquer plus efficacement ? Ajusté à la zone proximale de développement ? Qui préviendra des difficultés scolaires futures ?
– Activité fonctionnelle : Motivante ? Similaire aux activités quotidiennes ? Utilisant du matériel en 3D ? Proche du vrai contexte où l’enfant utilisera ses nouveaux apprentissages ?
– Communication fonctionnelle : Efficace ? Satisfaisante pour la personne ? Qui améliore la participation sociale ?
– Évaluation fonctionnelle : Réalisée à l’aide de tâches similaires aux activités de la vraie vie ? Réalisée dans le milieu de vie de l’enfant ? Qui permet de documenter les impacts des difficultés de langage sur la participation sociale ?
*Ajout du 21 avril 2022 : Les généreux commentaires des certains lecteurs m’ont aussi fait réalisé que l’expression « langage fonctionnel » est parfois compris comme étant un langage « minimal » pour exprimer des besoins de base comme la faim et la douleur.

Depuis plus d’un an, afin de mieux communiquer ma pensée, j’ai cherché à remplacer le mot « fonctionnel » par des mots plus précis. Si cette réflexion vous rejoint, je vous invite à vous questionner sur la signification que vous donnez au mot « fonctionnel » dans différentes situations.

OBJECTIFS

Pour les objectifs, je parle maintenant d’objectifs prioritaires (qu’on devrait travailler en priorité). Pour l’instant, je me sers de trois critères pour choisir les objectifs prioritaires :

1) Est-ce que cet objectif entraînera un gain pour la communication par exemple, en empêchant un bris de communication que l’enfant commet présentement ou en permettant à l’enfant d’exprimer une nouvelle catégorie de contenu (ex. : possession, quantité) ? Les enfants font beaucoup d’erreurs qui ne causent pas de bris de communication (ex.: dire « de le » au lieu de « du », ça ne cause pas de bris de communication parce que le message de l’enfant est compris).

2) Est-ce que cet objectif permettra de prévenir des difficultés futures ? Puisque le langage est un bagage que l’enfant amène avec lui à la maternelle, puis au primaire, puis au secondaire, puis à son examen de conduite, puis à son entrevue d’embauche… il faut se soucier de ce qui s’en vient dans les prochaines années et, lorsque c’est possible, prioriser les objectifs qui auront un gain dans l’immédiat et dans le futur.

3) Est-ce qu’il est possible d’améliorer cet objectif ? Parfois, comme pour la mémoire de travail, la recherche indique que ce n’est pas possible. Il faut donc choisir un autre objectif.

ACTIVITÉS

Puisque je ne saisis pas bien ce qu’est une activité fonctionnelle, je parle plutôt d’activités authentiques. Toutefois, je réalise que ce mot gagne en popularité et que ses significations se multiplient comme pour le mot « fonctionnel ». Je définis une activité authentique comme une activité qui existe « dans la vraie vie » en-dehors des thérapies orthophoniques. Une activité authentique n’est pas nécessairement motivante. Jouer au ballon, jouer au vétérinaire ou lire un livre, ça peut être motivant pour un enfant et sans intérêt pour un autre. Une activité authentique n’est pas nécessairement connue par tous les enfants (certains enfants peuvent ne jamais avoir joué avec de la pâte à modeler).

J’utilise aussi l’expression « activité signifiante » pour désigner une activité qui a du sens, qui a un but. Décrire ce qui se passe sur une carte, ça n’a pas vraiment de sens (pourquoi fait-on cela ?) et ce n’est pas authentique (les enfants ne font pas ça dans la vraie vie).

Enfin, je peux aussi parler d’activités communicatives où l’enfant ne fait pas que parler de ce qu’on sait tous les deux (s’il y a 100% de savoir-partagé, c’est parfois moins pertinent de communiquer), mais où il communique pour de vrai (en me partageant une information que je n’ai pas ou qu’il pense que je n’ai pas).

IMPACTS

L’expression « impacts fonctionnels » m’apparaît être celle où le sens du mot « fonctionnel » est le plus clair. CATALISE ne définit pas ce que signifie « impacts fonctionnels », mais l’expression réfère habituellement aux impacts des difficultés de communication sur la participation sociale (relations avec l’entourage, réussite éducative, etc.). Pour la période préscolaire, différents outils sont disponibles pour documenter les impacts fonctionnels : l’article de Singer et al. (2020), le QLIF 0-6 et le FOCUS.

10 réflexions sur “Je n’utilise (presque) plus le mot « fonctionnel »

  1. Tellement vrai, Marie-Pierre! À part « l’impact fonctionnel », je n’utilise pas ce mot non plus. Non plus pour les personne autistes. Mes clients ne sont pas « high-functioning » ou « low-functioning », car ceci ne veut rien dire et les gens qui lisent ceci se font tous une image différente de ce qu’a l’air l’enfant avant de le rencontrer. Je dis plutôt « needs more support » ou « less support ». Bravo pour ce blogue!

    • Merci pour cette réflexion. En effet, parler du niveau de soutien permet de discuter des besoins et des solutions plutôt que d’axer sur ce que la personne peut ou ne pas faire. C’est très intéressant.

  2. Absolument, et surtout dans le contexte où le système public a surinvesti ce mot pour se justifier de fermer des dossiers dans le but de réduire les listes d’attente. Oui, plus de monde touchés par des services, je veux bien, mais en même temps, on a réussi de façon magistrate à camoufler les besoins réel de la population.

    Merci pour tes réflexions et ce billet très juste!

  3. Merci Marie-Pierre pour ce post intéressant. Personnellement je vois surtout (en français de France et pour des adultes avec des troubles acquis) une différence/opposition entre des objectifs fonctionnels (du quotidien, pour pouvoir interagir le mieux possible, avec des activités assez globales), et des objectifs analytiques (moins naturels, fondés sur des observations fines, avec des activités très ciblées). Ainsi en « fonctionnel » on pourrait proposer l’utilisation du téléphone, et en « analytique » l’amélioration de la précision articulatoire (aussi pour téléphoner par exemple !). Passionnant ces histoires de terminologie 🙂

    • Allô Frédérique, merci d’avoir pris le temps d’écrire 😊 ! Oui, c’est passionnant de réfléchir à cela.
      De ce que je comprends, un objectif du quotidien pourrait demander un travail ciblé dans une activité non-quotidienne (ex. : travail sur l’intelligibilité avec plusieurs répétitions, pratiques intensives, etc.) et un objectif analytiques pourrait être travaillé dans une activité plus proche du quotidien ! Donc, un objectif « fonctionnel » ne garantit pas une activité « fonctionnelle ».

      • Hello Marie-Pier, oui tu as raison sur le principe, même si dans ce que je perçois ici, l’objectif fonctionnel va chercher une efficacité plus rapide (donc moins d’exigence dans la réalisation phonétique par exemple), donc les activités travaillées pour un objectif fonctionnel vont être plus globales (par exemple plutôt des mises en situation que de la répétition de phrases). Mais je suis d’accord que à plus long terme un travail analytique (ex la capacité à articuler des segments triconsonantiques) va permettre d’atteindre un objectif fonctionnel qui serait l’intelligibilité dans la communication ! merci pour ta remarque judicieuse

  4. Merci pour cette réflexion, que je trouve fort éclairante ! Je n’avais pas pensé à ça. En ergothérapie, on utilise tellement le mot « fonctionnel » !
    Par contre, dans notre cas, je crois que ça plus facile à saisir.

    Par exemple, objectif fonctionnel pour un enfant pourrait être, par exemple, d’attacher ses souliers en faisant une boucle sans aide, d’ici 1 mois. Pour un adulte : Débuter un retour progressif au travail d’ici 6 à 8 semaines.
    On utilise beaucoup aussi les activités signifiante (j’aime bien aussi significatives), en fait l’essence même de l’ergothérapie est la thérapie par l’occupation (ou activité signifiante).

    J’ai fait un petit article là dessus il y a quelques années :

    https://physioergost-onge.ca/2016/05/27/ergotherapie/

    • Merci d’avoir pris le temps d’écrire votre commentaire. Oui, les objectifs fonctionnels sont plus faciles à définir je pense qu »une « communication fonctionnelle » ! Donc, de ce que je comprends, un objectif fonctionnel en ergothérapie intègre une habitude de vie ? De votre expérience, est-ce que les objectifs spécifiques ciblés en thérapie par les ergothérapeutes sont aussi fonctionnels que les objectifs généraux que vous donnez en exemple ? Parfois, ça devient plus difficile de garder l’aspect fonctionnel quand c’est un objectif précis.

  5. Bonjour ! Merci pour votre réponse! En effet, en ergothérapie, les objectifs doivent être très concrets et en lien direct avec une activités significative pour le client. On tente de rendre l’objectif facilement mesurable & observable et on ajoute un échéancier (ex: d’ici 1 mois). C’est un « work in progress », je crois que la tenue de dossier et l’élaboration d’un plan d’intervention/objectifs est un grand défi. Il faut rester simple et efficace, pour que ce soit un outil plutôt qu’un fardeau. Certains ergothérapeutes font des objectifs trop flous, trop généraux ou pas assez personnalisés pour le client. C’est difficile de bien mesurer si l’objectif est atteint, dans ce type de situation. Je travaille principalement en santé mentale dans ma clinique privée et mes interventions sont beaucoup orientées sur la gestion du stress. Dans ce cas, je dois bien penser à mes objectifs, pour qu’ils soient réellement axés sur une occupation. Par exemple, pour une cliente en arrêt de travail en dépression majeure (et pas prête à réintégrer le travail), les objectifs pourraient être orientés vers ses loisirs : Madame Gendron recommencera à jardiner chez elle, une fois par semaine, pendant 30 minutes, d’ici un mois. J’ai en tête aussi des objectifs en lien avec les routines & habitudes de vie. Par exemple: Madame Gendron recommencera à mettre son cadran pour se lever chaque matin à la même heure (ex: 8h30), d’ici trois semaines. J’aime beaucoup vous lire 😉 Merci et bonne semaine !

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